Entreprendre

Redressement : une affaire d’anticipation

Le législateur a doté les entreprises en difficultés d’un large arsenal d’outils juridiques et d’interlocuteurs publics, afin de faciliter leur sauvetage. Ne reste plus à leurs dirigeants qu’à actionner les bons leviers, de façon proactive et sans tarder. Par Laurent Jourdan, avocat associé Wragge & Co Paris, docteur en Droit, professeur (droit des entreprises en difficulté) à Sciences Po Paris.

Depuis quelques mois, les dirigeants sont confrontés à une détérioration du climat des affaires. Pour certaines entreprises, cette dégradation de l’environnement économique affecte la visibilité de l’activité et peut aller jusqu’à menacer la pérennité de l’exploitation. Dans ces conditions, attendre en espérant des jours meilleurs est la pire des solutions. Car le législateur a doté au fil des ans les dirigeants d’un arsenal d’outils de restructuration, qui peuvent être actionnés en dehors de tout cadre contentieux, avant même de constater une cessation de paiement. C’est d’ailleurs l’esprit de la Loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, complétée par l’ordonnance du 18 décembre 2008, qui a renforcé les méthodes de prévention pour les entreprises en difficultés. Amiables et confidentielles, leur taux de réussite est de plus de 80 %.

Traiter les difficultés en amont
Quelles sont-elles ? Avant d’être aculé à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, qui est subordonnée à la preuve d’une cessation de paiement (lorsque l'entreprise ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible depuis plus de 45 jours), le dirigeant peut chercher à traiter ses difficultés en amont et à titre préventif. La procédure de conciliation ou le mandat ad’hoc consistent alors à mener une négociation confidentielle et à l'amiable avec les créanciers, tandis que la procédure de sauvegarde (inspirée du Chapter 11 du droit américain) permet de placer l’entreprise sous la protection de la justice et d’instaurer un plan dit de sauvegarde, destiné à réorganiser l’entreprise en vue de son redressement. Le voilà donc, l’intérêt, pour les dirigeants. Les dispositifs préventifs permettent de devancer les difficultés et ainsi, de maximiser les chances de survie de l’entreprise. Elles doivent donc être considérées comme un acte de gestion, dans le but de donner au dirigeant les moyens de redresser son entreprise et de préserver la pérennité de son outil de production.

22 Commissaires au redressement productif
Ce n’est pas tout. L’État vient de nommer 22 Commissaires au redressement productif. L’objectif est ici aussi de favoriser le plus en amont possible le sauvetage des entreprises en difficultés, qu’elles soient déjà placées dans le cadre d’une procédure collective ou non. Au gré des dossiers, ils peuvent constituer un moyen de pression supplémentaire à l’égard des créanciers, et notamment des banques, un guichet unique vers les instances publiques, et notamment ministérielles, un outil de détection des difficultés ou encore un espace de dialogue informel. Ces nouveaux interlocuteurs décentralisés s’ajoutent donc aux bras armés dont l’État s’est déjà doté dans le champ économique (FSI, Oséo, CIRI, médiateur du crédit) avec un certain succès.
Comment faire, donc, pour tirer profit aux mieux de cet arsenal ? Plus que jamais, la priorité est d’anticiper. À ce titre, la brutalité de la crise exige des dirigeants une proactivité encore plus importante qu’auparavant. Tout d’abord en scrutant les signaux avant-coureurs d’éventuelles difficultés à venir, fussent-elles à moyen terme. Dès qu’un risque est objectivement avéré, le dirigeant doit ensuite solliciter le plus tôt possible la procédure amiable la mieux appropriée. Ce qui amène au troisième impératif : la préparation. L’adoption d’un plan de sauvegarde est par exemple précédée d’une période d’observation. Si celle-ci permet d’ajourner le paiement des créances antérieures et d’interrompre toute poursuite judiciaire, elle ne dispense pas l’entreprise de poursuivre son exploitation. L’entreprise doit donc préparer un trésor de guerre suffisamment important pour financer sa période d’observation sans se fragiliser davantage.
Dans les cas plus graves, les entreprises ne doivent pas non plus attendre le dernier moment pour déposer leur bilan, sauf à aggraver leurs difficultés et à obérer toute chance de redressement à terme.

Une réelle méconnaissance
Mais voilà. Alors qu’ils ont fait la preuve de leur efficacité dans de très nombreux cas, ces dispositifs sont trop peu ou trop tardivement utilisés par les dirigeants. Pourquoi ? Par méconnaissance de leur esprit, tout d’abord. Alors même qu’ils sont conçus pour faciliter le redressement de l’entreprise, ils sont souvent considérés comme un purgatoire, comme un constat d’échec, et provoquent à tort la peur, le déni, voire la honte. Par méconnaissance des mécanismes de ces dispositifs, ensuite. L’absence d’une familiarité suffisante avec ces outils amène souvent les dirigeants à se méprendre sur leurs implications pratiques. Ils craignent par exemple (à tort) pour leur caution personnelle ou redoutent (ici encore à tort) l’ingérence intempestive d'un conciliateur dans le cadre de leur gestion quotidienne. La peur de la publicité, enfin, limite grandement l’utilisation des procédures de sauvegarde, qui comportent une dimension judiciaire forcément publique, alors même que leur non-utilisation expose certaines entreprises à des publicités bien plus dommageables.

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