Entreprendre

Quand les pigeons nous invitent à un autre voyage

Des entrepreneurs, au regard de nouvelles dispositions fiscales inscrites dans le projet de loi de finances 2013, expriment leur colère, pour le moins leur lassitude, sous le titre “Ne soyons pas des pigeons, mobilisons-nous”. Un “tir groupé” qui semble faire reculer Bercy.

Par Bernard Devert, président fondateur du mouvement Habitat et Humanisme.

Le malentendu entre les entrepreneurs et l’Administration, voire le pays, n’est pas nouveau. Aussi disent-ils dans leur manifeste : “Alors que notre pays a plus que jamais besoin de ses entreprises, on a paradoxalement l’impression qu’il ne les aime pas.”
Encore faut-il exister pour être aimé. Or, la société a un statut, l’entreprise n’en a point.

L’affectio societatis
Jean Rippert, ce grand commercialiste, disait que le monde est peuplé d’êtres nouveaux qui ne sont pas comptés dans le dénombrement de la population, mais qui pourtant sont aussi vivants que des êtres physiques.
Seulement cette “population nouvelle” est recensée de façon singulièrement réductrice pour assimiler ou réduire l’entreprise à la société.
L’article 1832 du Code civil définit la société à partir de deux éléments : l’affectio societatis et la volonté de se réunir, en vue du partage des bénéfices : tout un pan de l’économie est alors, si ce n’est occulté, du moins oublié. Quel partage de cet affectio societatis pour les salariés, fussent-ils des cadres, lesquels se considèrent parfois comme “pigeonnés”.

Frustrations
L’espoir de la richesse est une force de création qui se trouve quelque peu annihilée par des captations dirigées davantage vers la société plutôt que l’entreprise. Ne nous étonnons pas des frustrations de ceux qui, concourant au développement de l’entreprise, voient la société comme un lieu captatif des résultats et des pouvoirs pour les séparer des enjeux de décisions.
Est-il juste de considérer que les actionnaires sont les seuls propriétaires de l’entreprise ? Certes, ils possèdent un titre financier, mais cette part du capital est susceptible d’être cédée en Bourse du jour au lendemain. Une responsabilité aussi limitée dans la durée met en exergue le vide juridique du statut de l’entreprise confrontée à des obligations singulièrement plus longues vis-à-vis notamment des salariés.

Finalité
La société se construit à partir d’une connaissance (affectio societatis). L’entreprise procède d’une reconnaissance de ceux-là mêmes qui, dépassant le court-termisme, l’inscrivent dans une finalité qui n’est pas seulement d’enrichir les associés mais d’enrichir la Cité par le partage des liens économiques, financiers et sociaux à partir desquels s’opère une recherche constante du sens qui, seul, donne au possible de l’échange la source de nouveaux possibles.
Ne sommes-nous pas là précisément dans une approche de l’entrepreneuriat qui ne demande pas à être qualifié de social ou de solidaire, dès lors qu’entreprendre durablement c’est désirer faire société en incluant davantage de confiance et de solidarité ?

Reconnaissance
Ce tir des entrepreneurs n’atteindrait-il pas une autre cible que celle recherchée, se révélant juste pour saisir l’urgence d’un statut de l’entreprise, distinct de celui de la société ; deux réalités complémentaires répondant à des temps différents et à des objectifs proches sans être pour autant assimilables.
S’ouvre alors un chantier aux juristes, fiscalistes, économistes et praticiens de l’acte d’entreprendre pour que s’élabore le concept de l’entreprise offrant à ses différents partenaires la reconnaissance de leurs échanges et les conditions favorisant leur développement pour une contribution à la promotion du bien commun.

Pigeons voyageurs
Ces “pigeons” sont vraiment voyageurs pour nous inviter à voir autrement une réalité entrepreneuriale dont la finalité n’est pas seulement de garder les plus-values, mais d’offrir à l’acte d’entreprendre une noblesse, née de cette réconciliation entre ces différents acteurs.

Ajouter un commentaire

Votre adresse IP ne sera pas collectée Vous pouvez renseigner votre prénom ou votre pseudo si vous êtes un humain. (Votre commentaire sera soumis à une modération)