Entreprendre

Reprendre en famille

Reprendre une société à plusieurs, plus encore en famille, revêt à la fois des avantages et des inconvénients. Valeurs et qualité des relations, répartition des tâches et des responsabilités… mais aussi un risque de brouille, une difficulté à maintenir la frontière entre privé et professionnel, etc.
Voici quelques clés pour ne pas vous laisser piéger.
 
Si cela semble évident au premier abord, il peut être bon de le rappeler : une bonne entente entre les repreneurs d’entreprise d’une même famille est primordiale ! Mais il ne suffit pas de boire régulièrement le thé ensemble, même dans une ambiance cordiale. Car les relations dans l’entreprise ne sont pas les mêmes que dans le cercle familial. Le mieux est donc de fixer des règles claires dès le départ. Statut de chaque membre, responsabilités… chacun doit trouver sa place dans la structure. Cependant, les liens familiaux ne doivent pas constituer un frein au bon dévelop­pement de la société. Et si le neveu de la famille n’est pas compétent pour le poste qui lui est attribué, le garder pour maintenir de bonnes relations ne vous aidera pas à pérenniser la société.
 
Des qualités relationnelles recherchées
Jacques-Antoine Malarewicz est spécialiste de la thérapie familiale systémique et auteur d’Affaires de famille – Comment les entreprises familiales gèrent leur mutation et leur succession*, paru en 2006. À la fois atout et handicap, ce type de structure reste en effet un modèle économique porteur. “On considère que les entreprises familiales en France, toutes tailles confondues, représentent 80 % du PNB (Produit national brut, ndlr)”, indique l’auteur. Des grandes sociétés comme Auchan ou Michelin aux petites structures artisanales, montées en couple par exemple (restauration, salon de coiffure…). Un chiffre important au niveau quantitatif, mais également sur le plan qualitatif. “Les sociétés familiales sont généralement recherchées. Les gens aiment bien être dans de telles structures car la qualité des relations est réputée meilleure. Souvent, les entreprises non familiales cherchent à copier les valeurs des entreprises familiales.”
Autre chiffre que Jacques-Antoine Mala­rewicz met en avant : 60 % des 500 plus grandes entreprises sont familiales. Mais pourquoi, finalement, tant de sociétés en France fonctionnent sous ce modèle ? L’aspect culturel entre en jeu, mais pas seulement : complémentarité des relations, connivence entre les membres… sont des atouts indéniables. “Des études ont montré que ces sociétés sont plus pérennes”, souligne le spécialiste de la thérapie familiale systémique. En outre, la majorité de ces structures reste des PME, “à dimension humaine” et avec un management “souvent teinté de valeurs familiales”. Enfin, les bénéfices sont, en général, immédiatement réinvestis dans l’entreprise, permettant une meilleure réactivité.
 
Reprendre une société familiale ou non ?
Mais revenons à l’aspect pratique des choses. En effet, reprendre une société en famille nécessite de prendre en considération d’autres critères que la reprise objective d’une structure. En particulier, l’affect entre en ligne de compte. Deux cas peuvent alors se présenter :
• Prenons l’exemple d’un couple qui reprend une entreprise elle-même déjà familiale : celle-ci “continue d’appartenir à une famille, même si ce n’est pas la même. La transmission d’un certain nombre de valeurs se poursuit. Il est mieux, pour un couple, de reprendre une entreprise familiale car il y a déjà une culture familiale qu’il pourra reprendre.”
• Par contre, si la société à reprendre n’est pas familiale, le couple sera “tenté d’imposer, d’utiliser des valeurs plus familiales. Le management est très affectif, il se joue beaucoup sur l’émotion. C’est peut-être un avantage pour ces entreprises, mais cela dépend aussi du personnel et de la taille de la structure. Il n’est jamais évident de passer d’un management non familial à un management familial.” Les modes de relations diffèrent et surtout, la circulation de l’argent change, la société devenant une entreprise patrimoniale. “Il n’y a plus l’anonymat ou l’étrangeté d’un actionnariat qui a ses propres règles, parfois éloignées des préoccupations de l’entreprise.”
 
Attention aux frictions !
Ainsi, si les avantages de l’entrepreneuriat familial sont nombreux, nombreux sont aussi les freins. Pour reprendre l’exemple des époux, ceux-ci vont vivre ensemble 24 heures sur 24, dans le cadre professionnel comme en dehors, et le couple risque de souffrir. Car les objectifs ne sont plus seulement personnels, ils sont aussi d’ordre financier.
En outre, comme le pointe Jacques-Antoine Malarewicz, quand les conjoints reprennent une société, ils y travaillent généralement tous les deux et ont une vision paritaire de la gestion de l’entreprise ainsi que les mêmes responsabilités. Du moins au début. Car la hiérarchie va ensuite se mettre en place, l’un des époux prenant le pas sur l’autre, et pas seulement dans les interactions professionnelles au quotidien, “mais aussi au regard des membres de l’entreprise. Qui fait quoi ? Qui est responsable ? Ce n’est pas toujours évident”, précise l’auteur d’Affaires de famille. Des responsabilités à partager aussi, plus tard, avec les enfants qui souhaiteront intégrer la société.
 
La “charte de famille”
Finalement, les difficultés relèvent surtout du relationnel. La logique familiale ne doit en effet pas prendre le pas sur la logique entrepreneuriale. Comment, alors, déterminer la place de chaque membre dans l’entreprise ? “Au mieux, en fonction de ses compétences, répond Jacques-Antoine Malarewicz. Mais le choix n’est pas toujours suf­fisamment large. Il y a beaucoup de despotisme, des gens qui ont des responsabilités qui ne correspondent pas à leurs compétences. Mais les entreprises ont tendance à se professionnaliser.”
Les spécialistes recommandent donc de définir les liens à l’avance, par le biais d’une “charte de famille” qui coordonne la relation entre les membres : “une sorte de règle du jeu du fonctionnement des personnes entre elles”. Il faut anticiper au maximum : les responsabilités de chacun, mais pas seulement. En effet, que se passe-t-il si le fils se marie ? Quelle est la place de l’épouse dans la structure ? Si un membre veut revendre ses actions, qui a la priorité de rachat ? “La composante financière est importante, précise Jacques-Antoine Malarewicz. Il faut prévoir les événements qui peuvent se produire dans la famille eu égard au fonctionnement de l’entreprise.”
 
*Affaires de famille – Comment les entreprises familiales gèrent leur mutation et leur succession, Jacques-­Antoine Malarewicz, éditions Pearson Village Mondial, 256 pages.
 

Qu’entend-on par “entreprise familiale” ?

Deux critères permettent de déterminer qu’une entreprise est fami­liale : le capital est majoritairement aux mains des membres d’une même famille et la gouvernance est, là aussi, majoritairement familiale.

 

La transmission dans la famille

À noter : la question de la transmission des sociétés au sein de la même famille se pose, les ménages étant plus petits qu’avant (deux ou trois enfants). Peut-être le fils ou la fille n’ont-ils pas envie de reprendre l’entreprise de leurs parents ou n’ont-ils pas les compétences pour le faire… Ainsi, seul un tiers des sociétés familiales est transmis à un membre de la famille.

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